Il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans une base de Tsahal, et la base de l'orchestre de l'armée, située à quelque pas du musée d'Israël à Ramat Aviv, n'est pas une exception. Deux soldats sont de garde à l'entrée : deux musiciens qui ont été sélectionnés pour passer leurs trois années de service militaire armés d'une clarinette.
La grille s'ouvre enfin : Michael Yaaron, chef d'orchestre de Tsahal pour tout Israël, nous attend.
"Vous avez une autorisation ?" Cette question, purement formelle, je m'y attendais un peu. "Une autorisation de qui, lieutenant colonel ?" "Vous savez, c'est l'armée, ici. Il faut une autorisation pour chaque chose." Cette fois, nous nous passerons donc d’autorisation. Nous prenons place dans le bureau de Michael Yaaron, encombré de CDs, mais aussi de coupes et de photographies. Arrive l'indispensable café turc ("botz") que les simples soldats servent aux hauts gradés (et aux invités), et sans lequel les grandes confidences ne peuvent se faire. La glace est rompue.
Un militaire doublé d’un musicien
Yaaron Cohen a beau être chef d'orchestre et baigner dans le monde de la musique, c'est avant tout un militaire : l'uniforme bien sûr, mais aussi l'esprit pratique et stratégique ne trompent pas. Il répond aux questions sans tourner autour du pot, voyant toujours où je veux en venir et me devançant d'une longueur.
Originaire de Moldavie, Michael Yaaron a suivi de hautes études de musique dans son pays natal avant de venir s'installer en Israël, où il effectue son service militaire dans l'orchestre de Tsahal, qu'il a intégré il y a maintenant trente ans. Père d’un fils étudiant en philosophie et d’une fille médecin, il a l’âge d’être à la retraite. Le portait de sa petite fille, rayonnante blondinette, brille sur son austère bureau. Mais Michael Yaaron n'entend nullement quitter l'orchestre, qui lui donne autant d'émotion qu'il en apporte à ses auditeurs : « Chaque fois que l'orchestre interprète la Tikva [hymne israélien ndlr], j'ai la chair de poule. Et pourtant, je l'ai interprété des centaines de fois ! », confie-t-il.
Faire partie de l’orchestre de Tsahal, raconte Michael Yaaron, c’est vibrer et faire vibrer l’autre par la musique, mais c’est aussi effectuer de nombreux voyages, en Israël bien sûr, au rythme des cérémonies officielles qui pimentent la vie du pays, des représentations au sein de l'armée, des réceptions de présidents et Premiers ministres, mais aussi à l'étranger, où l'orchestre de Tsahal est fréquemment convié. Lors d’un festival international de musique militaire organisé en France il y a quelques années, l’orchestre d’Israël a eu droit à une standing ovation, se souvient Yaaron Cohen. Plus récemment, les soldats-musiciens se sont rendus à New York où, avec quelques semaines de retard, la communauté juive fêtait les soixante ans de l'indépendance du pays.
Accompagner les événements historiques du pays
En Israël aussi, les soixante ans de l'Etat juif ont représenté un épisode mémorable : des orchestres en provenance de plusieurs pays sont venus s'ajouter à celui de Tsahal, à l'occasion d'une parade extraordinaire à Haïfa. Répartis pour former une étoile de David, ces orchestres ont joué ensemble en plein air, sous la direction de Michael Yaaron.
D’autres événements marquants, beaucoup plus anciens pour certains, ont marqué la vie des clarinettistes, trompettistes et trombonistes de Tsahal : la venue de Sadate en Israël, alors que Yaaron venait tout juste d'intégrer les "rangs de l'orchestre", il y a trente ans, fut un grand moment pour les musiciens de l’armée. Les Accords d'Oslo ont aussi été accompagnés de musique, ainsi que les autres grands moments du processus de paix. En présence de Rabin et Clinton, l'orchestre de Tsahal s'est produit à Akaba, où il a joué avec l'orchestre jordanien. "Nous accompagnons par la musique tous les grands événements historiques de notre pays." Et ce faisant, tous les espoirs que le peuple, à tort ou à raison, place dans ses dirigeants en ces instants stratégiques…
