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Sciences & Technologies Israéliennes

Prix Netflix: pour des ingénieurs surdoués et pas chers

Netflix vient de lancer un nouveau concours pour améliorer son service de recommandation de films. Il n'y a rien d'étonnant à cela lorsqu'on sait qu'en créant il y a trois ans son Prix Netflix de 1 million de dollars, l'entreprise a réalisé l'affaire du siècle. Le prix a été remis le 21 septembre dernier aux sept ingénieurs, mathématiciens et informaticiens réunis au sein du groupe BellKor's Pragmatic Chaos qui ont réussi à améliorer l'efficacité de son service recommandation de location de DVD de 10 %, battant sur le poteau une autre équipe, the Ensemble d'une trentaine de personnes qui étaient parvenues au même résultat mais qui ont remis leur copie 20 minutes après l'équipe Bellkor.

Si Netflix avait dû rémunérer tous ces mathématiciens surdoués au salaire en vigueur (100 000 dollars par an environ) aux Etats-Unis, cela lui aurait coûté plus de 3 millions rien que pour rémunérer l'équipe gagnante pendant un an (en supposant que Netflix l'ait identifiée dès le départ), alors que la plupart des concurrents ont travaillé pendant plus d'un an sur ce projet et que certains ont abandonné leur activité principale pour s'y consacrer à plein temps. Comme l'a reconnu le PDG de Netflix, Reed Hastings, au New York Times: «Compte tenu du temps passé, cela revient à payer des titulaires de doctorat un dollar de l'heure.»

Et encore, ce chiffre n'est rien par rapport au véritable bénéfice que Netflix a retiré de son prix. Si l'entreprise avait voulu recruter ces informaticiens par des annonces, la plupart n'auraient même pas répondu, la plupart ayant déjà un emploi (les gagnants travaillent entre autres pour AT&T et Yahoo et la plupart des membres de the Ensemble travaillent pour l'entreprise de conseil en traitement de données Opera Solutions) ... et de surcroît dans le monde entier : Netflix a reçu des contributions de plus de 100 pays et les membres de l'équipe gagnante sont répartis entre le New Jersey, Montréal, Israël et l'Autriche.

Le Prix Netflix n'est pas à proprement parler une nouveauté. L'idée d'attribuer un prix pour récompenser des scientifiques remonte au moins au XVIIIe siècle avec le prix de 20 000 livres offert par le gouvernement britannique pour récompenser le premier qui inventerait un moyen de calculer la position de ses navires. En 1927, l'exploit de la traversée de l'Atlantique par Charles Lindbergh a été récompensé par un nouveau prix, le Prix Orteig, et en 2004, SpaceShipOne remportait le Prix Ansari X créé pour récompenser le gagnant du concours lancé pour la construction d'un vaisseau spatial habité financé sur fonds privés.

Mais le Prix Netflix est nouveau à deux égards. D'une part, il a été explicitement créé en vue de bénéficier à une entreprise privée (même si la motivation de la plupart des candidats était de trouver des idées permettant de mieux prévoir la versatilité humaine en matière de goûts, celle de Netflix était d'augmenter ses bénéfices). L'entreprise a d'ailleurs déjà amélioré son service de recommandation de films grâce aux connaissances acquises pendant ce concours, ce qui lui a permis d'augmenter le taux de fidélité de sa clientèle. D'autre part, l'objet même du concours est nouveau. Il ne s'agissait pas, comme dans le cas de Lindbergh de récompenser un exploit ou, comme dans le cas de SpaceShipOne de récompenser une avancée technologique, mais de récompenser une « recette » mathématique. Ce que recherchait Netflix, c'était une idée. Il se trouve qu'Internet se prête particulièrement bien à ce type de travail d'équipe sur des sujets abstraits.

Le Prix Netflix pourrait en réalité inspirer d'autres entreprises de haute technologie qui cherchent à résoudre des problèmes ardus dans la mesure où il a bénéficié à la fois des avantages des logiciels libres et de ceux de la propriété industrielle. Le concours a bénéficié comme tout projet open-source d'un esprit de coopération extraordinaire - certains concurrents ont décidé en cours de route de travailler ensemble et de constituer des équipes lorsqu'ils se rendaient compte qu'ils n'y arriveraient jamais tout seuls. L'équipe gagnante est le résultat de la fusion en juin de trois équipes différentes qui ont mis en commun leurs meilleures idées pour créer l'algorithme gagnant.

C'est généralement de cette manière que les projets open-source fonctionnent, à la différence près qu'ils deviennent parfois difficiles à gérer et ont tendance à aller dans tous les sens lorsqu'ils deviennent trop importants. Ils ont en outre tendance à décourager ceux parmi les programmeurs qui souhaitent - à juste titre - être récompensés d'une manière ou d'une autre pour leur travail. La formule du concours permet de résoudre ces problèmes. Avec une récompense à la clé (en terme d'argent et de renommée) chaque équipe a intérêt à ne pas oublier son objectif et à contrôler le travail de chacun de ses membres. L'équipe gagnante - comme d'autres équipes participantes - avait mis au point une formule mathématique permettant de calculer la part du prix revenant à chacun. Bien entendu, la formule du concours est encore plus avantageuse pour l'entreprise qui le finance. Le fait d'attribuer un prix au gagnant a permis à Netflix de garder pour elle tous les fruits du travail de tous les concurrents alors qu'elle aurait dû les partager si elle avait financé un projet open-source.

Cette formule devrait beaucoup mieux marcher dans le domaine des logiciels que dans d'autres secteurs d'activité qui sont dépendants de la propriété intellectuelle, les programmeurs étant habitués à collaborer, même lorsqu'ils travaillent pour des entreprises concurrentes. Netflix peut être considéré comme concurrente d'AT&T - les deux entreprises distribuent des films à domicile - mais les salariés d'AT&T n'ont visiblement pas eu de problème pour travailler pour Netflix, ce qui serait tout à fait inconcevable dans des secteurs comme l'industrie pharmaceutique par exemple où le secret est roi.

Quelles entreprises auraient intérêt  à créer des prix comme celui-ci ? Microsoft est la première entreprise qui vient à l'esprit. Microsoft a du mal à concurrencer le moteur de recherche de Google, les meilleurs ingénieurs du monde entier dans ce domaine voulant travailler pour la meilleure entreprise mondiale dans ce domaine, et ce n'est pas Microsoft. Les moteurs de recherche se sont montrés par ailleurs réfractaires au développement open-source. Le fondateur de Wikipedia, Jimmy Wales qui a essayé de concurrencer Google avec un projet de moteur de recherche en 2007 a finalement abandonné, essentiellement à cause de manque d'intérêt suscité par ce projet. Comment pallier ce manque d'intérêt ? En proposant de l'argent. Microsoft pourrait offrir 10 millions de dollars à la première équipe qui lui permettrait d'améliorer l'efficacité de son moteur de recherche de 10 % par exemple, la difficulté étant bien sûr de mesurer les progrès réalisés. La solution pourrait consister à tester discrètement les algorithmes des différents concurrents sur une série de recherches et de voir si les utilisateurs répondent aux résultats.

Google lui-même aurait intérêt à créer un prix. Google consacre énormément d'argent pour résoudre les problèmes technologiques extrêmement complexes que posent la traduction automatique. Un prix serait particulièrement pertinent dans ce domaine qui exige des compétences multiples - en informatique, en linguistique et en mathématiques - et serait susceptible de convaincre des chercheurs dans ces différentes disciplines de travailler ensemble. Google pourrait par exemple attribuer un prix de 1 million de dollars à chaque fois que l'efficacité de ses algorithmes permettant de traduire des textes dans différentes langues serait améliorée de 10 %. Les progrès réalisés pourraient être mesurés avec exactitude - l'équipe qui écrirait le code qui permettrait de traduire le mieux l'?uvre de Proust en anglais par exemple gagnerait le gros lot.

Quoi d'autre ? Les idées ne manquent pas. Pourquoi pas un prix pour la reconnaissance des images fixes et des images vidéos ? Ou pour améliorer la reconnaissance vocale, ce qui permettrait enfin de parler à son ordinateur ? En fait, en cherchant à mieux connaître nos goûts cinématographiques, Netflix a peut-être inventé quelque chose de bien plus important que le simple fait de nous dire si nous aimerons ou non tel ou tel film.

Farhad Manjoo est en charge de la rubrique technologie de Slate et auteur de True Enough: Learning To Live in a Post-Fact Society. Vous pouvez lui envoyer un courrier électronique à farhad.manjoo@slate.com et le suivre sur Twitter.

Traduit par François Simon

Image de une: Netflix, DR

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 53 minutes