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Sciences & Technologies Israéliennes

Haro sur les femmes «incubatrices»!

Qui a dit que la colère était mauvaise conseillère' Voici, né d'un violent mouvement d'humeur, un petit bijou d'une centaine de pages, pédagogique autant que polémique. C'est aussi un précieux outil démocratique fort opportunément disponible au moment où s'ouvrent en France les premiers Etats généraux de bioéthique, ce préalable citoyen à la révision de la loi du même nom. Signé de Silviane Agacinski, cet opuscule vient d'arriver dans les librairies. En prendre connaissance c'est, sous une plume tenue par une femme située à gauche de l'échiquier politique, découvrir la pertinence d'un ample réquisitoire contre cette nouvelle forme de marchandisation du corps humain qu'est, selon l'auteur, la pratique des mères porteuses. Une initiative d'autant plus originale que nombre de voix féministes - émanant officiellement du même univers de gauche -  plaident ouvertement et avec virulence en faveur de la dépénalisation de cette pratique. Certains vont même, au nom de la liberté de disposer de son corps et de sa fonction de reproduction, jusqu'à oser un parallèle avec l'interruption volontaire de grossesse.

Philosophe, professeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, Sylviane Agacinski greffe son propos sur la dernière initiative d'un groupe de sénateurs français présidé par Michèle André, Alain Milon et Henri de Richemont. L'émotion n'est pas absente de l'ouvrage. «Faut-il le dire j'éprouve un certain dégoût à devoir argumenter pourquoi il est indigne de demander à une femme de mettre son ventre à la disposition d'autrui, écrit-elle dans son avant-propos. Chacun devrait le voir de lui-même, le comprendre du lui-même». Mais, dégoût ou pas, on ne peut manquer d'être frappé par la rigueur de l'argumentation, la puissance du réquisitoire, la hauteur de vue et une forme de courage d'un auteur montant en première ligne dans ce combat des idées.

C'est que le propos de Sylviane Agacinski dépasse de beaucoup, et fort heureusement, la seule question des mères porteuses. Il embrasse d'un nouveau regard le développement contemporain des pratiques d'assistance médicale à la procréation. Et l'auteur resitue le tout dans le contexte international, hautement inquiétant, d'une marchandisation de l'humain doublée de l'émiettement des corps. «Obsédés par les crimes anciens, nous sommes incapables de voir ce qui pourtant s'étale sous nos yeux : la barbarie soft, bienveillante, doucereuse des abus biotechnologiques et de l'aliénation du corps humain, après la réduction des animaux au statut de produits fabriqués par l'élevage industriel, écrit l'auteur. Aujourd'hui, à travers sa Constitution et ses lois, le droit français interdit toute atteinte à la dignité de la personne. Il garantit le respect de l'être humain et de son corps, en proscrivant toute marchandisation des organes où de ses produits. Mais demain'»

Demain, précisément, pourrait être radicalement différent dès lors que le législateur aurait entrouverte la porte à des contrats définissant les termes d'une  location utérine suivie - il est essentiel de le rappeler - d'un accouchement et d'un abandon du nouveau-né. Peut-être faut-il recadrer la problématique et de faire l'économie des oppositions politiques et des polémiques plus ou moins personnalisées. L'une des questions essentielles concernant la révision de la loi de bioéthique est bien celle de savoir si l'on va ou non remettre en cause l'une des dispositions fondatrices du droit français; celle qui veut que depuis qu'elles existent les différentes techniques de l'assistance médicale à la procréation ne peuvent bénéficier qu'à des couples stables composés d'un homme et d'une femme en âge de procréer et souffrant de difficultés à concevoir.

Evolution sémantique

Cette clef de voûte juridique est depuis quelques années déjà vivement contestée par ceux qui estiment que le législateur n'a pas à intervenir dans ces sphères de l'intime. De quel droit, demandent-ils, interdire, par exemple, aux femmes célibataires et aux couples homosexuels de bénéficier de ces thérapeutiques ?  Et c'est bien cette contestation qui a pour effet indirect de soulever, une nouvelle fois, la question de la dépénalisation d'une pratique longtemps dénommée  comme étant celle des «mères porteuses» avant de devenir celle de la «gestation pour autrui» (GPA).

Sylviane Agacinski se penche précisément avec acuité sur l'évolution des termes et des expressions. On est ainsi passé des «mères porteuses», aux «mères de substitution», puis à la «maternité de substitution», à la «maternité pour autrui» avant d'atteindre la GPA. En moins de vingt ans, cette évolution sémantique n'a semble-t-il eu d'autre fonction que de gommer progressivement le fait qu'en l'occurrence une femme acceptait d'être enseinte et d'accoucher à la place d'une autre. «Les mots sont ici le symptôme d'un malaise : il y a beaucoup de choses à cacher, écrit Sylviane Agacinski. (...) L'idée d'utiliser un être vivant pour sa capacité «gestationnelle» n'avait d'ailleurs concerné jusqu'ici que les animaux d'élevage.» Ainsi ce serait parce que le «porteuse» de «mère porteuse» renvoyait directement à «couveuse» ou «pondeuse» que l'on en est venu à cette GPA qui n'évoque plus qu'une simple fonction où l'altruisme efface toute dimension financière.

La France n'est pas isolée dans la prohibition

Le législateur français autorisera-t-il demain une femme à porter un embryon conçu - pour tout ou partie - avec les cellules sexuelles d'un couple tiers tout en acceptant la programmation d'abandonner l'enfant dans l'heure qui suivra sa naissance' Inquiets de leur propre audace, certains parlementaires favorables à cette disposition envisagent de laisser à la mère une période de trois jours durant laquelle elle pourrait décider de garder «son» enfant...

Pour l'heure, la loi française interdit une telle pratique : ceux qui s'entremettraient dans des conventions de GPA encourent des peines d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende. Les partisans de la dépénalisation laissent entendre que la position française est en passe de devenir une exception. Faux, leur répond en substance Sylviane Agacinski qui rappelle qu'à l'échelon planétaire l'exception est bel et bien la tolérance encadrée vis à vis d'une telle pratique: au Royaume-Uni, en Grèce, en Belgique en Israël ou dans quelques Etats américains. L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne la Suisse ou la Chine ont adopté une prohibition stricte.

Il n'en reste pas moins vrai - et cet ouvrage en apporte le témoignage - que dans l'espace démocratique français aucun consensus ne semble pouvoir se dégager sur un sujet qui soulève des menaces aussi lourdes que celles de l'instrumentalisation des corps humains et de leur commercialisation. L'affaire est d'autant plus grave que l'on sait que toute forme de remise en cause du concept d'indisponibilité du corps humain conduit immanquablement à l'émergence de nouvelles formes d'esclavage ; un esclavage d'autant plus pervers qu'il prospère ici dans des espaces démocratiques sous la double bénédiction de la thérapeutique et de la «solidarité féminine».

Une nouvelle aliénation

Pour l'heure, les oppositions entre partisans et opposants de la dépénalisation de la GPA sont irréductibles. Dans leur riche ouvrage consacré aux «nouvelles libertés» issues de l'assistance médicale à la procréation, Monique Canto-Sperber et René Frydman en témoignent à leur façon, chacun signant un texte séparé à propos de la GPA. La philosophe et le gynécologue-obstétricien (qui n'a jamais caché ses convictions socialistes) ne peuvent ici se rejoindre. La dissociation entre le désir d'enfant et la gestation est-elle acceptable'  Non, répond en substance le chef de service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart, qui expose les raisons de son opposition au concept même de maternité de substitution, cet «abandon volontaire orchestré dès le départ», cette utilisation du corps au profit d'autrui qui ne constitue également rien d'autre, à ses yeux, qu'une «aliénation». Pour Monique Canto-Sperber, ancienne vice-présidente du Comité national d'éthique la gestation pour autrui ne serait qu'une nouvelle dissociation s'inscrivant après celle entre la procréation et la sexualité.

A gauche, les voix de Sylviane Agacinski et de René Frydman  apparaîtront d'autant plus dissonnantes et criticables qu'elles entrent pleinement en résonance avec les conclusions, sur ce thème, des évêques du groupe de travail sur la bioéthique. Pour Agacinski, la question peut au fond être formulée de manière aussi simple que provocatrice : la femme peut-elle être réduite à son utérus et son utérus gravide à un simple four à pain ? Celles qui connaissent les souffrances et les joies de l'enfantement peuvent-elles, sans danger pour elles et notre espèce, être autorisées à devenir de simples incubatrices ?

Il y a 77 ans Aldous Huxley fondait son monstrueux «Brave New World» sur l'instrumentalisation de la gestation humaine via des incubateurs artificiels dont rien ne permet de penser qu'ils ne verront jamais le jour. Sylviane Agacisnki et René Frydman n'y font pas référence. Mais rien n'interdit de penser que l'acceptation de la grossesse pour autrui, c'est à dire de la grossesse devenue étrangère sera l'étape qui nous rapprochera de la grossesse artificielle, c'est à dire devenue inhumaine.

Kléber Ducé

Image de une: CC Flickr/Guildo

 

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Dernière mise à jour, il y a 42 minutes