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Israël : infos Société

Prière en pleine rue, à Paris en 2010 ?

Prière en pleine rue, à Paris en 2010 ? - © Victoire Florent

Chaque vendredi, à Paris, des centaines de musulmans prient à même le sol et bloquent l’accès aux rues pendant plusieurs heures. Pendant le Ramadan, cette situation se reproduit tous les jours. Une journaliste s’est rendue sur le terrain.

Nous sommes le 23 octobre 2009 dans le XVIIIe arrondissement de Paris, à l’angle de la rue Léon et de la rue Myrha, dont l’intégralité de la chaussée est occupée par des musulmans en prière. Je me tiens, immobile, derrière les barrières de sécurité bloquant l’accès. J’observe sans prendre de notes, sans, dans un premier temps, manifester le désir de photographier ce flot serré d’hommes prosternés.

« Mademoiselle, circulez s’il vous plaît. Vous n’avez pas à être là ». C’est un individu se présentant comme l’un des responsables de la mosquée de la rue Myrha qui m’interpelle ainsi. Alors je me présente comme journaliste désireuse de prendre un cliché. Une poignée de fidèles le rejoignent, m’encerclent et se font menaçants, me répétant que je dois partir, « laisser les gens prier en paix ».

On m’interdit de circuler et de prendre des photos rue Myrha. Réponse des fonctionnaires de l’État : « Normal, c’est la prière du vendredi. En plus, vous êtes une femme. »

Inutile de rappeler que la rue est un espace public – le mien autant que le leur -, que j’ai le droit de m’y trouver comme de photographier ce qui s’y déroule. Inutile également de menacer d’aller au commissariat : « Allez-y! Dites-leur que vous venez de la part d’un responsable de la mosquée, ils vous diront la même chose que moi. » J’en doute. Les policiers ne sont jamais loin lors de la prière du vendredi. Je croise l’un de leurs véhicules à hauteur de la rue Doudeauville. A l’intérieur, trois agents de la Police nationale. Je leur fais part de mon problème : on m’interdit de circuler et de prendre des photos rue Myrha. Réponse des fonctionnaires de l’État : « Normal, c’est la prière du vendredi, la grande prière. En plus, vous êtes une femme. »

Si je ne suis pas contente, je peux déposer une main courante. Redescendant la rue des Poissonniers, jusqu’au boulevard Barbès et à l’angle de la rue de la Goutte d’Or, je me sens étrangement mal. Silence total. Mes pas seuls résonnent sur la chaussée tandis que des croyants sont encore rassemblés par centaines sur les trottoirs. Là aussi, la rue est interdite aux véhicules par une barrière. Des religieux portent un brassard de sécurité pour faire circuler les passants. La voix de l’imam se fait entendre par le biais d’un haut-parleur sur la façade de la mosquée. Les piétons doivent marcher sur la voie de circulation, et le boulevard Barbès souffre d’un trafic important.

Depuis dix à quinze ans, des milliers de dévots investissent les rues du quartier.
Ces scènes se reproduisent tous les vendredis après-midi de l’année courante, ainsi – affirment des habitants – que tous les jours de Ramadan, pendant un peu plus de deux heures (entre le déploiement des tapis de prière, la cérémonie et la remise en état de la rue), au cœur du quartier Goutte d’Or-Château Rouge. Et ce, depuis dix à quinze ans. Ils seraient ainsi trois à quatre mille dévots à investir les rues du quartier, selon des témoins du quartier, deux à trois mille selon un porte-parole de la mosquée Al Fath, rue Polonceau. 1 400 à 1 500 selon la police. Interrogés, les habitants du quartier, eux, estiment que les fidèles sont de plus en plus nombreux.

Certains riverains se plaignent de ne pouvoir sortir de chez eux ni regagner leur lieu de travail après déjeuner, à l’heure de la prière. Mais dans le quartier, le sujet tombe sous le coup d’une omerta qui ne dit pas son nom. La peur de se manifester, de laisser son nom au commissariat… Au commissariat central du XVIIIe, d’ailleurs, on confirmait en novembre 2009 qu’aucune plainte n’avait jamais été déposée : « Des riverains font part de leur mécontentement mais pas par voie pénale. »

Les rares femmes que l'on croise portent le voile intégral, y compris les fillettes. © Maxime Lepante

En attendant, le chantier de la SEMAVIP (société d’économie mixte de la Ville de Paris) contigu à la rue Myrha s’arrête le temps de la prière, les commerces ferment « de gré ou de force », des jeunes femmes abandonnent… leurs jupes pour entrer et sortir de chez elles en toute quiétude. Les hommes convergent d’un pas pressé, certains sont vêtus de kamis, ce vêtement islamique couvrant le corps jusqu’à la mi-mollet. Les rares femmes que l’on croise portent le voile intégral, y compris les fillettes. Sortent-elles de la mosquée de la rue Myrha ou de celle de la rue Cavé ? Des femmes âgées mendient, assises sur les trottoirs dans l’attente de la fin de la prière, au moment de la collecte de fonds « pour la mosquée ».

Des mosquées, il y en a quatre dans le quartier :
• la mosquée Khalid Ibn El Walid, 28, rue Myrha, sise dans un local privé et dont le recteur est l’homme d’affaires et politique algérien Hamza Salah, proche de la branche du FIS (Front islamique du salut) proche du FLN (Front de libération national) ;
• la mosquée Al Fath, à l’origine au 53 rue Polonceau, financée dans les années 1980 par un donateur saoudien via un résident malien désireux de proposer à ses compatriotes et coreligionnaires un lieu de prières. Suite à un constat d’insalubrité, ses propriétaires ont été expropriés et relogés par la Ville dans un bâtiment préempté pour ce faire, au 56 rue Polonceau, où elle se trouve actuellement ;
• la mosquée de la rue Cavée, tenue par la discrète communauté habache qui loue les locaux ;
• la mosquée de la rue Philippe de Girard, tenue par une confrérie tabligh propriétaire des locaux ;
• plusieurs salles de prière principalement dans des foyers.

Une explosion du nombre de fidèles
Selon Michel Neyreneuf, adjoint au maire du XVIIIe arrondissement chargé de l’urbanisme et du logement, les prières ont commencé dans la rue au début des années 1990. « Mais il y a une explosion du nombre de fidèles depuis trois ans. Notamment en raison de la fermeture de la mosquée de la rue de Tanger, dans le XIXe, qui accueillait 3 000 personnes dans un ancien entrepôt que le propriétaire a fait abattre dans l’espoir de construire une grande mosquée cathédrale sur fonds privés. Mais il n’a pas encore trouvé les financements. La Mairie de Paris a alors mis à disposition un grand local Porte de la Villette pour les fidèles, mais les croyants se rabattent plutôt ici. Le local est trop loin », explique-t-il.

Trop loin ? Pourtant, une partie des fidèles qui se retrouvent chaque vendredi dans le XVIIIe viennent d’Aubervilliers et de Saint-Denis. En témoignent les habitants arabophones du quartier, comme les plaques d’immatriculation des véhicules garés dans les rues adjacentes à l’heure de la prière. Certains invoquent le marché africain hebdomadaire, qui rassemblerait les fidèles tant pour les courses que pour la prière. Il faut savoir que dans le quartier, des grossistes tiennent commerce sous enseignes de détaillants, ce qui, en sus d’être interdit par la loi, provoque embouteillages et surpopulation les jours de marché. Il faut savoir aussi que tout le monde ne vient pas écouter le même imam : on se retrouverait plutôt fonction de nationalités d’origine, de langues pratiquées, de points de vue théologiques. Même si « le sermon se fait toujours exclusivement en arabe »
.

La montée de l’islam politique a imprimé ici un caractère idéologique. Tous les vendredis, les mosquées sont des forums, des points d’accumulation de rapports de force.

Mohammed M. (1), d’origine algérienne, vit ici depuis le début des années 1960 : « Ce n’est pas le vendredi mais le samedi matin que les Maghrébins viennent de banlieue acheter leur couscous aux grossistes. Les gens qui viennent le vendredi viennent car la mosquée de la rue Myrha est politiquement marquée. Et ils s’y reconnaissent. C’est aussi le cas de la mosquée de la rue Polonceau. Traditionnellement, au bled comme en ville en Orient, les mosquées sont des lieux de convivialité et de sociabilité : si vous débarquez sans connaître personne, vous vous y ferez des amis ; si vous avez faim, vous pourrez y manger… Mais ce n’est pas ce qui se produit en France de nos jours. La montée de l’islam politique a imprimé ici un caractère idéologique. Tous les vendredis, les mosquées sont des forums, des points d’accumulation de rapports de force. »

« D’ailleurs, ajoute-t-il, il n’y a plus un seul Algérien dans le quartier. Ils partent pour être seuls. Parce qu’ils savent comment les problèmes arrivent pour les avoir subis. Et parce qu’ils veulent être semblables, indifférenciés. Ils sont très honorés d’être ordinaires dans la société. »
Tout le contraire, en somme, des manifestations très ostensibles d’appartenance religieuse que représentent ces moments rituels.

« Achat de la paix sociale »
Cette situation, aberrante à priori [voir ci-dessous notre encadré sur les troubles à l'ordre public], est banalisée depuis toutes ces années. Daniel Vaillant, maire du XVIIIe arrondissement, le confirme sur Europe 1-Soir du lundi 26 mai, face au journaliste Patrick Cohen, ce qu’avaient jusqu’ici expliqué plus ou moins clairement les représentants rencontrés : « Aujourd’hui, demander à la Préfecture d’interdire, ça veut dire qu’on ne permet pas à des gens qui ont ce culte de le pratiquer. Et on risque des violences, et on risque des incompréhensions. C’est le pragmatisme de l’élu local qui vous parle. »

Un pragmatisme que d’autres qualifient, plus brutalement, d’« achat de la paix sociale ». Une rumeur court en effet selon laquelle Michèle Alliot-Marie, durant son mandat de ministre des Cultes, aurait envoyé un courrier à des habitants du quartier pour les informer qu’il fallait accepter cette situation afin ne pas « provoquer d’émeutes». Nous n’avons pas pu vérifier cette information : la Préfecture étant trop occupée pour répondre ; et les habitants trop mal à l’aise pour nous prouver leurs dires. « Nous ne sommes pas racistes, attention », précisent-ils. Et nous les croyons d’autant plus volontiers que nombre d’entre eux racontent l’histoire de l’immigration de leurs ancêtres, et que les « de souche » depuis toujours déplorent que ce quartier, autrefois bigarré et joyeusement cosmopolite, toujours populaire, vive dorénavant au rythme des prêches, des commerces uniquement hallal et du jeûne du Ramadan. « Les personnes âgées qui veulent manger un steak classique ou une côte de porc sont obligées de marcher longuement pour trouver une boucherie traditionnelle ! En fait, notre quartier est devenu un laboratoire de toutes les transgressions, car les prières ne sont pas le seul problème : prostitution, drogue, vente à la sauvette… On a le sentiment que la République nous a abandonnés. »

Que fait la police ?
Le commissaire principal intérimaire du XVIIIe arrondissement, interrogé sur l’indifférence apparente, voire la bienveillante indifférence des agents en faction à la Goutte d’Or, précisait en novembre 2009 : « On ne dégage pas les axes pendant la prière. On veille à ce qu’il n’y ait pas de troubles à l’ordre public. Il ne m’appartient pas de prendre des mesures pour faire évacuer les pratiquants. » Autrement dit, le problème n’a aucune solution purement policière.

ICI, Institut des Cultures d'islam - Cliquer pour agrandir

Un «Institut des Cultures d’Islam»
La solution, la Mairie de Paris pense l’avoir trouvée avec l’ICI, l’Institut des Cultures d’Islam. Ce lieu voulu par Bertrand Delanoë existe d’ores et déjà sous forme d’un centre dit « de préfiguration » au 19-23 rue Léon.

Il a été inauguré le 7 octobre 2006 et accueille pour l’instant des expositions photo ainsi que des conférences, spectacles et concerts, notamment lors des Soirées du Ramadan où chacun est invité à se réunir pour l’iftar (la rupture du jeûne) en écoutant une lecture du Coran. Il se destine à devenir « un espace culturel dédié à la promotion des cultures d’Islam et leur diversité et donc aussi un espace cultuel pour créer un lien entre les habitants du quartier. Un espace de culte mais pas une mosquée, car une mosquée ne désigne qu’un espace cultuel», insiste Elsa Blanc, chargée de programmation.

Pas une mosquée ?
Le rapport de conseil d’arrondissement du 13 janvier 2003 stipule pourtant clairement que la préemption du garage du 56 rue Stephenson (où s’érigera l’un des deux bâtiments de l’ICI) correspond au désir que « l’exercice des religions (soit) assuré dans des conditions dignes et dans le respect de la laïcité de l’Etat » et que « l’aspect architectural ne sera pas négligé, afin que la mosquée s’intègre dans son environnement et soit la marque visible de l’existence d’un lieu culturel musulman ».

L’ICI, lieu culturel ou lieu cultuel ?

« L’Institut des Cultures d’Islam est avant tout un établissement culturel qui n’a pas une fréquentation communautaire, mais citoyenne », explique Véronique Rieffel, directrice du centre de préfiguration. « Même aux heures de prières, il y aura des cours dans des espaces différenciés. »

Cet « avant tout » n’est pourtant pas de toute première évidence puisque, si « le montage juridique tient compte des lois de 1905 » (Daniel Vaillant, conseil d’arrondissement du 28 avril 2006), selon Michel Neyreneuf, les surfaces qui seront achetées par l’Association des Musulmans de l’Ouverture (AMO) pour environ 8 millions d’euros sont destinées à répondre aux besoins quotidiens d’exercice du culte, et seront soutenues les vendredis et en période de fêtes religieuses par la location d’ « espaces intercalaires » affectés à la partie culturelle et destinés à accueillir des publics plus nombreux.

L’AMO s’y perd d’ailleurs elle-même puisque dans sa première déclaration au Journal Officiel, elle se donne pour objectif de « gérer deux espaces culturels ». Une erreur corrigée par la suite (voir ci-dessous les deux déclarations successives au J.O.)

Journal Officiel : 1ère et 2e parution, de “culturel” à “cultuel


Cultuel ou culturel, l’islam semble en effet fort méconnu sous nos latitudes, puisque, selon Bernard Godard et Sylvie Taussig (Les musulmans en France : courants, institutions, communautés – un état des lieux, Hachette Littérature, février 2009), une mosquée, lieu de culte, a traditionnellement pour deuxième fonction d’être un lieu d’enseignement : medersa (école coranique) ou université.

Parmi les activités culturelles dispensées à l’ICI, des cours d’arabe. Doivent-ils être considérés comme une incitation à la lecture du Coran ? C’est ce que pense M. Moussa Niambélé, proche du recteur de la mosquée Al Fath (rue Polonceau) pour qui «l’expansion de l’islam » nécessite la compréhension de la langue sacrée.

Ce n’est pas ce qu’annonce Véronique Rieffel : « La dimension universitaire et culturelle est vraiment première. Nous proposons des colloques, des conférences sur des questions en lien avec l’islam ». « Mais il ne s’agit pas pour nous d’idéaliser l’islam, on n’est pas un centre prosélyte mais un lieu de connaissance autour des questions en lien avec l’islam. » Interrogée sur certaines pratiques islamiques relatives à la stricte observance de la charia et répandues dans le monde musulman (statut des femmes, liberté de culte, droits de l’homme, etc.), elle explique que « par exemple, on ne dit pas qu’on est pour ou contre la burqa, on essaie de comprendre des phénomènes de société en dépassionnant le débat… Sur la lapidation, les crimes d’honneur, il ne s’agit pas de comprendre, mais de comprendre quels sont les mécanismes qui aboutissent à ça ; parce que comme disait Dounia Bouzar dans son livre, Monsieur Islam n’existe pas ; on met beaucoup de choses au nom de l’islam ; nous voulons complexifier la notion d’islam, montrer qu’il y a plusieurs courants ». [Au sujet de l'ICI, lire également cet article du Parisien]

Le courant le plus fréquemment évoqué, c’est le soufisme, perçu comme la voie mystique de l’islam. D’ailleurs, l’AMO se compose, en sus de la mosquée Al Fath, de deux puissantes associations soufies :
• l’association Isthme, d’obédience marocaine, qui se revendique de la Tariqa Qadiriya Boudchichiya (« le Cheikh Sidi Hamza al Qadiri Boutchichi est un descendant direct d’Abd-el-Kader Al-Jihani », peut-on lire sur islamophile.org) ;
• l’association AISA, de la Tarîqa Alâwiyya-Darqâwiyya-Shâdhiliyya « héritière de la prestigieuse lignée spirituelle dont la source est le prophète Muhammad ».

Puissantes, sans doute, puisque selon M. Moussa Niambélé, futur président à tiers de l’AMO, « les pistes (de financement) sont innombrables. Je ne vais pas entrer dans les détails. Une chose est sûre, la somme sera réunie. Nous n’avons pas de doute à ce niveau-là, parce que notre foi repose là-dessus. Il y a des musulmans très riches aussi, vous le savez. Le financement, nous n’en faisons pas un problème ».

« Pas un problème » selon M. Niambélé et l’AMO. Ce n’est pas ce que laissait entendre M. Neyreneuf l’hiver dernier, ni ce qu’ont affirmé les divers élus au fil des discussions des années précédentes pour justifier l’investissement municipal, arguant que les musulmans de France, population récente et défavorisée économiquement, n’avaient pas les moyens de financer des lieux de culte.

La mosquée Al Fath doit sa présence initiale rue Polonceau, semble-t-il au début des années 80, à la générosité d’un donateur saoudien aujourd’hui décédé et dont les quelques milliers (millions, selon les interlocuteurs) d’euros reposeraient actuellement à la Caisse des Dépôts et Consignations et pourraient alimenter une part de financement.

« Pas un problème » financier non plus pour la mosquée Khalid ibn el Walid (rue Myrha) puisque, selon une source bien informée, son recteur Hamza Salah – qui a refusé de nous parler et qui jusqu’à ce jour ne souhaite aucunement intégrer le projet de l’ICI – s’était déclaré prêt « à mettre 3 millions d’euros sur la table pour ériger une mosquée cathédrale dans le Nord de Paris dans le cadre d’une fondation ».

Michel Neyreneuf, islamologue et arabophone distingué, était pourtant persuadé le 23 novembre 2006, lors d’un comité de quartier, que les responsables des deux mosquées en question établiraient une convention d’occupation des lieux et paieraient un loyer pour l’utilisation des locaux.

La difficulté des élus semble donc patente relativement à l’aspect cultuel de ce projet, dont ils expliquent volontiers la nécessité eu égard à la désaffection de la mosquée de la rue de Tanger, ancien local industriel rasé par son propriétaire qui rêvait d’une mosquée cathédrale pour laquelle il n’aurait finalement pas réuni les fonds. Suite à quoi la Mairie de Paris a mis à disposition un local porte de La Villette, auquel les croyants préfèrent les rues de la Goutte d’Or. « Cette situation ne sera plus tolérée avec l’ICI », assurent les élus.

Pourtant, Michel Neyreneuf reconnaît volontiers que, numériquement, les « espaces cultuels » et les « espaces intercalaires » du projet ne résoudront pas le problème des prières dans les rues. Selon lui, il faudra résoudre la question de la mosquée de la rue de Tanger, « voire envisager d’autres constructions ». Mais dans d’autres quartiers.

Quartiers qui, ne l’oublions pas, abritent des habitants en l’occurrence désenchantés par la démocratie participative.

« Ce projet s’inscrit dans une logique coloniale », estiment certains d’entre eux, « les musulmans du quartier n’ont jamais été consultés, et ils n’ont pas demandé de mosquée ». Pourtant, les élus affirment qu’une véritable demande est à l’origine de ce projet, établie par une enquête préalable dont il n’existe nulle autre trace que des déclarations publiques enregistrées lors de conseils d’arrondissement ou de conseils municipaux. Seul élément tangible, un « conseil scientifique » « composé d’une trentaine de personnes qui sont des universitaires de haut vol » et « officiellement mis en place le 12 mai par le Maire de Paris et le Maire du 18e arrondissement » (Michel Neyreneuf, conseil municipal du 28 avril 2006) Soit bien après la résolution prise d’offrir un lieu de culte (voir débats du conseil municipal des 24 et 25 février 2003 et conseil d’arrondissement du 1er décembre 2003) au nom de la laïcité (voir l’intervention de Daniel Vaillant au conseil municipal des 9 et 10 mars 2009).

L’absence d’enquête d’utilité publique pour ce projet n’est pas sans rappeler que, finançant une mosquée sous couvert d’activité culturelle, la mairie de Rennes avait été rappelée à l’ordre par le Conseil d’Etat pour avoir construit, au milieu des années 80, le Centre culturel islamique du Blosne à Villejean dont le permis avait été octroyé en dépit d’une utilité publique douteuse. Au terme d’une longue bataille juridique, le Conseil d’Etat avait tranché en faveur de la Ville.

In fine emblématique, voire symptomatique, de la manière dont la République entend gérer la question des cultes et particulièrement celle du culte musulman, l’ICI n’est donc pas tout à fait le premier montage de ce genre. Il espère, cependant, « inspirer d’autres municipalités dans l’avenir ». ?

La prière du vendredi : une obligation coranique pour tous les musulmans orthodoxes

Les trois jeunes responsables du centre de préfiguration de l’ICI sont formels : cette situation ne convient à personne ; elle ne saurait durer car, outre le trouble à l’ordre public, elle n’est pas digne pour les fidèles.

En effet, si les musulmans attachés à une stricte orthopraxie sont contraints de prier dans les rues parce que le Coran exige qu’ils se réunissent collectivement chaque vendredi, « hormis l’esclave, la femme, l’enfant, le malade » (1), paradoxalement l’islam commande la discrétion et, par conséquent, déconseillerait plutôt cette exhibition hebdomadaire (2).

D’autre part, cette obligation coranique ne peut être parfaitement respectée dans les conditions actuelles. Le vendredi, les fidèles doivent en principe avoir pris un bain rituel, revêtir leurs plus beaux habits et se parfumer.

Pourtant, rien ne saurait détourner les pratiquants de leur ferveur : « Il s’agit d’une prière collective le vendredi, qui a vraiment une importance particulière dans l’islam. Il faut faire un travail pédagogique de part et d’autre pour essayer de comprendre quelle est l’importance du vendredi pour les musulmans. On ne s’en rend pas compte, on n’en a pas conscience. Et quelle est l’importance aussi, pour les riverains, de pouvoir circuler un vendredi. Ca c’est votre travail en tant que journaliste. Expliquez. Cherchez. Allez poser la question à un musulman, à une personne qui ne prie même pas dans la semaine mais par contre qui ira prier le vendredi, et pourquoi. »

Interrogé, M. Mohammed M. (1), installé dans le quartier depuis cinquante ans, assure quant à lui que, en tout état de cause, aucune mosquée n’est indispensable à l’exercice de la foi. Il confirme que l’orthodoxie musulmane exige que la prière du vendredi ait lieu à la mosquée.

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(1) Selon Sulaymân Ibn Al-Ash`ath Ibn Ishâq As-Sejestân, dit Abou Dâwoud, le maître des mémorisateurs du Hadîth.

(2) « Lorsque la mosquée est pleine à craquer au point qu’il n’y a plus de place pour poser la tête contre le sol au moment de la prosternation, il est possible à l’orant de se prosterner sur le dos de la personne qui se trouve devant lui. A ce sujet, Ahmad rapporte ce dire de Sayyâr: “J’ai entendu ‘Umar Ibn al-Khattâb dire lors d’un de ses prêches du vendredi: “L’Envoyé de Dieu a construit cette mosquée avec l’aide des Muhâjirîn et des Ançar. Lorsqu’elle se remplit de monde, que l’homme d’entre vous se prosterne sur le dos de son frère”. C’est pourquoi, le second Calife de l’Islam, ayant vu des gens prier au bord de la route, leur dit: “Priez à l’intérieur de la mosquée”. » (source : islamophile.org)

Les prières dans les rues constituent-elles un trouble à l’ordre public ? Une occupation illicite du territoire ?

Les quelques habitants du quartier qui ne sont visiblement pas musulmans et ceux qui sont peu orthodoxes s’accommodent en apparence, dans leur majorité, assez bien de cet état de fait, tout en exprimant des inquiétudes sur les dérangements occasionnés chaque semaine dans l’année, ainsi que chaque jour pendant le Ramadan.

Si d’aucuns n’hésitent pas à les évoquer (« J’habite rue Myrha et je ne peux plus sortir de chez moi car ma porte est bloquée », « Je n’ose plus porter de jupe le vendredi », « L’entrée de ma boutique est bloquée », « Aucun véhicule d’urgence ne peut passer », « J’aimerais pouvoir rentrer de déjeûner sans contourner les fidèles en prière »), personne n’a porté plainte. « Prier collectivement est un droit », rappelle-t-on au centre de préfiguration de l’ICI. La loi de 1905 garantit en effet à chacun la libre conscience et la liberté de culte dans son article premier. Pour autant, la liberté de prier collectivement prime-t-elle sur la liberté à circuler librement ?

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) précise que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Autrement dit, cette liberté de culte est assurée par la République à la condition, toutefois, que soit respecté l’ordre public par ses lois défini.

Occupation du domaine public
Selon la loi, l’occupation du domaine public par une personne privée est conditionnée par l’obtention d’une autorisation (temporaire, précaire et révocable), « en contrepartie de laquelle les collectivités territoriales perçoivent des redevances domaniales. Dès lors, les articles L.2122-1 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques prévoient que nul ne peut occuper une dépendance du domaine public sans disposer d’un titre l’y autorisant, ni utiliser ce domaine en dépassant les limites du droit d’usage qui appartient à tous ».

Autrement dit, en l’espèce, il n’est probablement pas considéré par les autorités compétentes que les « limites du droit d’usage qui appartient à tous » sont franchies.

Peut-être en vertu de l’alinéa 2 de l’article 1 du décret-loi d’octobre 1935 stipulant que « les manifestations à caractère religieux sur la voie publique sont soumises à un régime de déclaration préalable, à ne pas confondre avec un régime d’autorisation préalable) » ?
Très probablement, cette disposition relative aux processions catholiques s’applique de nos jours encore à ces dernières, voire à tous les rassemblements à caractère religieux. Le législateur n’a, à l’époque, rien précisé sur la récurrence de telles manifestations. Le législateur contemporain sera peut-être appelé à le faire ?

Ce même article précise (alinéa 3) que « les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux » sont dispensées de cette obligation de déclaration préalable.

De façon générale, la dispense de déclaration vaut uniquement pour les manifestations religieuses qui ont un caractère traditionnel local. La Préfecture de police de Paris a-t-elle, dans ce cas, considéré que les prières hebdomadaires relevaient d’une tradition locale ?

A en croire M. Hamou Bouakkaz (cf vidéo), d’une certaine manière, oui, puisque cet arrangement d’exception perdure au gré d’une tolérance particulière : « Les arrangements comme ça avec le commissaire du coin ne sont portés par personne. Si le commissaire demain disait Vous changez, l’arrangement serait foutu. Aujourd’hui c’est un modus vivendi qui paraît rationnel. Si ça fait dix-sept ans qu’il dure, pourquoi ne pas le formaliser dans une convention officielle ? Parce qu’il faudrait écrire des choses que les gens ne veulent pas écrire. Ils ne vont pas écrire qu’il va falloir mettre des barrières pour que la pratique du culte se fasse, qu’ils vont empêcher les voitures de passer… Parce que sinon ils banaliseraient, ils autoriseraient une occupation illicite du domaine public. »

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Vidéo : déclarations de Hamou Bouakkaz, adjoint au maire de Paris.

Cet arrangement, c’est M. Hamza Salah, recteur de la mosquée Khalid ibn Walid (rue Myrha), qui l’a négocié avec le commissaire divisionnaire de l’époque (aux environs de 1995, selon les dires du recteur lui-même). Celui-là même qui, aujourd’hui, refuse d’intégrer le projet de l’ICI au motif que, Etat laïc, l’Etat français n’a pas à organiser le culte musulman ni à le financer sous couvert d’activités culturelles.

Troubles à l’ordre public
La gestion subséquente des voies de circulation par la Préfecture de police a été l’objet, quant à elle, les 8 et 9 février derniers, du vœu n°38 déposé par le Groupe Socialiste Radical de gauche et apparentés, relatif à l’occupation de l’espace public par les fidèles des mosquées des rues Polonceau et Myrha. Un vœu annoncé du bout des lèvres par Bertrand Delanoë, mais à priori entendu par la Préfecture de police.

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Vœu n°38 déposé par le Groupe Socialiste, les 8 et 9 février 2010. Conseil de Paris.

Pendant plus de quinze ans, en effet, il a incombé aux fidèles d’installer des barrières à l’entrée des rues incriminées, et de régler la circulation à leur abord. A ce jour, les barrières ont été remplacées par des cordons sanitaires. Et si la police verbalise les véhicules mal garés à l’intersection du boulevard Barbès et de la rue des Poissonniers, le passage est réglé par des fidèles arborant un brassard « Sécurité ».

Or, selon l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales modifié par la loi du 19 décembre 2008, « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l’interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées » (source : Legifrance).

Pourtant, au grand dam de quelques habitants, l’on n’imagine guère le passage d’un quelconque véhicule sanitaire ou sécuritaire dans les rues de l’ilôt au moment des prières.

En résumé, tandis que le droit constitutionnel considère que des atteintes à la liberté religieuse peuvent être justifiées par des motifs de restriction fondés sur la laïcité ou le respect des droits d’autrui, le droit administratif considère qu’il est nécessaire de prouver l’existence ou un risque sérieux de trouble à l’ordre public. Autrement dit, en l’absence d’une loi générale justifiant l’interdiction, le maire ou le préfet doit démontrer l’existence d’un trouble à l’ordre public pour interdire une manifestation religieuse sur la voie publique.
Selon la Mairie de Paris et la Préfecture de police, qui ne nous a pas répondu, il n’y a donc pas de trouble à l’ordre public.

Institut des Cultures d’Islam, chiffres et faits

L’ICI se composera de deux espaces, dont l’un sera érigé 56 rue Stephenson et l’autre 55 rue Polonceau sur des terrains respectivement de 535 et 970 mètres carrés. La surface totale sera d’environ 4 000 mètres carrés. Le coût total assumé par la Mairie de Paris s’élève à environ 28 millions d’euros. L’Association des Musulmans de l’Ouverture est appelée à acheter les parties spécifiquement cultuelles du projet pour environ 5 à 8 millions d’euros.

« Une partie minoritaire sera vendue en V.E.F.A., vente en l’état futur d’achèvement, à une association cultuelle financée sur des fonds entièrement privés, respectant strictement le cadre légal fixé par la loi de 1905 qui interdit aux Collectivités territoriales de financer directement la construction de lieux de culte. » (Daniel Vaillant, conseil municipal des 9 et 10 mars 2009)

« Le futur Institut des Cultures d’Islam s’inscrit tout naturellement dans une logique de promotion des cultures d’Islam, en offrant un accès au savoir et par sa vocation cultuelle, on peut se féliciter de sa dynamique de laïcité positive, c’est-à-dire d’une laïcité qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire ou à celle de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger, mais plutôt un atout. »
(ibid.)

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1. Son nom a été changé.

Merci à Maxime Lépante pour nous avoir permis d’illustrer cet article avec les photographies qu’il a prises dans le quartier Barbès.

 

Une enquête de Victoire Florent, pour Enquête&Débat

20 commentaires
Jcl !!!
Rigole Rigole Rigole Rigole Rigole Rigole Rigole Rigole Rigole
Envoyé par Bar-oni - le Mercredi 16 Juin 2010 à 14:31
Je connais ce phénomène depuis longtemps puisqu'en 1963, année où je suis parti en Algérie dans le cadre des tirs nucléaires, plus aucun commerce dans le quartier de Barbès appartenait à un français ou européen.
Quand les gens s'installent, il n'y a qu'une chose à faire, c'est s'en aller avant que ça ne se gâte. Les pids noirs d'Algérie ont connu cela, mais dans l'autre sens.
Je crois que la France court un grand danger qui s'accentue de plus en plus , mais je reste convaincu qu'un jour la coupe va déborder. Quand ça va chauffer, ça va chauffer. La France n'est pas encore gagnée par l'Islam et ne le sera pas. Il y a encore des gens qui n'hésiteront pas à combattre ces situations inacceptables.
Que chacun joue son rôle. Car un jour tout va basculer. Et le monde entier verra son économie s'effondrer comme en 1939 aux USA.
Les arabes pourront se vanter d'avoir le pétrole, mais à quoi sert-il d'être riche si nos richesses ne nous servent plus à rien? et ne sont plus négociable.
Prenez l'exemple de l'immobilier en Belgique. Beaucoup de gens ont des studios, mais leurs locataires les placent dans des situations où, à la fin, ils ont dépensé plus d'argent qu'ils n'en ont gagné.
Je crois au bon droit comme au bon sens. Un jour les hommes devront rendre des comptes à D. et ça, ça me console.
Ce jour arrive, il ne tardera pas.
Jean
Envoyé par Jean_051 - le Mercredi 16 Juin 2010 à 18:00
Le compte de ce membre a été suspendu.
Envoyé par Tunisien - le Mercredi 16 Juin 2010 à 23:23
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Envoyé par Tunisien - le Mercredi 16 Juin 2010 à 23:37
Boker tov,
C'est inquiètant cette histoire, je ne savais pas que les musulmans de France occupait un quartier comme celà. S'ils s'agissaient des juifs où des chrétiens, il y à longtemps que cette histoire serait fini, car les policiers auraient réagi tout de suite, et puis non! finalement nous sommes censés et ne pourrais faire une chose pareil, sans égard pour nos voisins. Enfin! faut de tout pour faire un monde! En tout cas si cette partie est acheté, eh bien les habitants n'auront plus qu'à plier bagages, vous imaginez, si une personne tombe malade ce jour là! mais comment ils vont faire les secouristes. Dans un pays judéo-chrétien oh! non! c'est inadmissible! Il faut faire quelque chose. En tout cas chers habitants de cet endroit, Il vous reste plus, qu'à tomber malade un autre jour, sous peine de mourrir à cause de dieu. Clin d'oeil
Envoyé par Emma_002 - le Jeudi 17 Juin 2010 à 12:43
bien vu Emma_002 Choqué Rigole Triste
Envoyé par Yello - le Jeudi 17 Juin 2010 à 20:07
Merci! Yello, on est sur une poudrière, Jean j'y crois comme toi! Clin d'oeil
Envoyé par Emma_002 - le Jeudi 17 Juin 2010 à 23:12
Merci Emma.
Jean
Envoyé par Jean_051 - le Vendredi 18 Juin 2010 à 09:42
mer a vous tous Rigole Tire la langue Tire la langue
chabbat chalom
Envoyé par Yello - le Vendredi 18 Juin 2010 à 17:33
Honte au gouvernement français qui favorise le fascislamisme!Les mêmes qui défilent dans les rues de France et de Navarre contre Israël,imposent le voile, la viande hallal,et baffouent ainsi les principes les plus élémentaires d'humanité...
Un grand bravo à AZNAR rarae homme politique européen qui dénonce le fascislamisme qui s"impose à l"Europe et la haine anti-israélienne qui en est le vecteur.
Shalom,que Dieu nous garde Myriam.
Envoyé par Myriam_041 - le Dimanche 20 Juin 2010 à 23:09
Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 12 minutes