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Israël : infos Société

Islam et démocratie, le laboratoire turc

Les uns y puisent la preuve qu'islam et démocratie
peuvent coexister; les autres que l'armée ?même cantonnée dans ses casernes' reste
une garantie pour les «fondamentaux» du pays; d'autres, qu'il est possible de
tenir tête à Israël; les derniers que ce «modèle turc» a libéralisé l'économie,
apporté croissance et augmenté le niveau de vie des citoyens.

Mais ce serait une illusion de croire qu'arabes et occidentaux
sont séduits pour les mêmes raisons.     

Ainsi, les arabes applaudissent au bras de fer que le Premier
ministre turc mène contre Jérusalem depuis 2008 (à Davos, puis au sujet de la «flotille de la paix») quand Washington,
Berlin et Bruxelles commencent à se poser des questions sur l'ancrage
occidental de leur allié dans l'Otan. Les arabes, eux, y ont au contraire regagné
 une certaine fierté mise à mal par
la création d'Israël, le terrorisme d'al-Qaida, la guerre en Irak et
l'impuissance pour ne pas dire les compromissions de leurs leaders et du monde
occidental. De tout cela, ils savent gré au «modèle turc». 

L'art de la synthèse

De même, si les occidentaux se disent que la Turquie est
peut-être en train de montrer qu'islam et démocratie sont compatibles, les
musulmans  arabes, eux, sont beaucoup
plus précis. Le chercheur français Olivier Roy explique: 

«Une partie des Frères musulmans égyptiens est
passée de l'idéologie islamiste à une demande de démocratie, de la norme (la
charia) aux valeurs.» 

Ils regardent donc avec intérêt ce modèle du parti de la Justice et du
développement (AKP) qui «est en train d'opérer une synthèse entre
système parlementaire et valeurs musulmanes, conservatrices», poursuit l'auteur de L'Islam
mondialisé (Seuil, 2004).

Ce modèle-là est-il applicable dans le monde arabe'
D'abord, l'expérience est récente. Il n'y a pas dix ans que la Cour européenne
des droits de l'homme (CEDH) estimait fondée  la dissolution du Refah, dont l'AKP est issu, car ce parti
n'excluait pas l'application de la charia, ni le recours au Djihad pour
l'imposer. L'AKP a tiré pragmatiquement la leçon de ces mésaventures, rejeté l'idée
d'une Turquie gouvernée par la charia, s'est fait élire en 2002 sur un
programme pro-européen et a pris son envol.

Autrement dit, l'aggiornamento de l'AKP est en grande
partie lié à la candidature européenne de la Turquie.  Or ni les pays du Machrek, ni ceux du Maghreb ne figurent
officiellement sur la liste de l'élargissement européen.

Cet aggiornamento est également lié à la spécificité
turque. Selon Kadri Gürsel, éditorialiste du quotidien turc Milliyet:

«L'AKP n'aurait pu être un régime ?modéré?
sans la démocratie laïque qui existe chez nous depuis 1923. Or
dans le monde arabe, excepté en Tunisie et au Liban, je ne vois ni la même
tradition ni la même demande 
populaire de laïcité qu'en Turquie.»

On doit donc la mutation des islamistes turcs au cadre
constitutionnel imposant le respect de la laïcité, avec ses chiens de garde
qu'ont longtemps été les militaires, que tout gouvernement, même issu du
suffrage universel se devait de respecter. Un cadre que l'on trouve difficilement
 dans le monde arabe.

Aujourd'hui, l'armée turque est affaiblie, exclue du
champ politique par l'AKP qui a été soutenu en cela par l'Union européenne. La
question est de savoir si le peuple prendra la relève de l'armée et restera
aussi sourcilleux à l'égard de la laïcité.

L'Etat turc de plus en plus autoritaire

Car n'oublions pas que «ce qu'on appelle le ?modèle turc'
n'est pas fini; on est en plein mouvement. Où l'AKP va-t-il s'arrêter? Le
gouvernement va-t-il par exemple toucher au code civil'», interroge l'expert
gallois Gareth Jenkins, qui s'inquiète de l'actuelle dérive autoritaire du
nouveau pouvoir turc. «Ce qui compte pour eux, désormais et de plus
en plus, c'est de rendre les valeurs et l'identité musulmanes plus faciles à
suivre par leur base ; ainsi l'alcool vient-il   d'être interdit au moins de 25 ans dans les lieux
publics», poursuit l'auteur de Political islam
in Turkey (Palgrave, 2008) dont le sous titre «Running West, heading
East'» («court vers l'est, se dirige vers l'ouest») illustre parfaitement l'ambigüité
actuelle à laquelle est confrontée la Turquie.

Il y a quelques années, Recep Tayyip Erdogan a d'ailleurs
personnellement très
mal pris que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) déboute une
jeune étudiante turque (arrêt
Sahin contre Turquie, PDF) qui avait été renvoyée d'une université turque
et réclamait le droit d'y retourner voilée, comme  cela est autorisé en Allemagne ou en Grande-Bretagne.  Il a également très mal compris la levée
de boucliers, en Turquie et en Europe, qui a suivi sa tentative de faire voter une
loi contre l'adultère. C'est sa propre femme, choquée par la double vie de
certains membres de l'entourage de son mari qui l'aurait poussé à présenter ce
texte. «Dans cette loi, les torts étaient partagés à l'identique entre l'homme
et la femme et c'était un progrès par rapport à la polygamie de certains chefs
de l'AKP dans le sud-est du pays. Une loi très semblable à la loi chrétienne
appliquée dans dix Etats américains!», compare Olivier Roy.

L'affirmation des valeurs

En Turquie, comme dans le monde arabo-musulman, une grande
partie de l'électorat conservateur et pratiquant redoute de «voir
les m'urs occidentales débouler chez eux, car comme le dit crûment le
photographe Ahmet Sel, cela veut dire pour eux que leur fille va coucher
avec tout le monde et que leur fils va devenir  homosexuel». Les conservateurs ont donc un boulevard
devant eux. Recep Tayyip Erdogan a, par exemple, déclaré récemment  que l'homme et la femme n'étaient pas
égaux et que cette dernière devait avoir au moins trois enfants. Le message
pour les musulmans conservateurs n'est pas équivoque: l'homme doit protéger la
femme qui a la charge, importante, des enfants. «Exactement comme le faisait la
démocratie chrétienne allemande, il y a quelques années, en refusant d'ouvrir
des crèches pour que les femmes restent à la maison», précise toujours
Olivier Roy.

Ne nous trompons donc pas. Aux yeux des musulmans arabes pratiquants,
et plus particulièrement des mouvements islamistes, le modèle turc, c'est d'abord
l'affirmation de valeurs conservatrices et traditionnelles ainsi que
l'affichage de la culture musulmane par l'AKP.

Lequel peut le faire d'autant plus fortement qu'il est arrivé
au pouvoir par les urnes, que l'armée n'a plus droit au chapitre et que la
perspective européenne s'évanouit. En un mot,  ce que ces arabes, pieux ou islamistes, entrevoient c'est la
possibilité d'instaurer un nouvel ordre moral musulman dans un cadre
démocratique à l'occidental. Mais s'ils veulent coller
à  l'exemple turc, il leur faut encore
remporter les élections, neutraliser l'armée, instaurer la laïcité et ne pas
perdre complètement le soutien occidental qui reste tout de même l'un des
grands pourvoyeurs de fonds.  

Ariane Bonzon

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 10 minutes