Asmaa
est l'une des rares militantes des droits de l'homme à Gaza. A 28 ans, cette
journaliste est aussi l'une des seules femmes non voilées sur le territoire
palestinien. Avec un groupe d'amis, elle a fondé l'association Wake Up. Tous
les jours, ils se retrouvent dans l'un des cafés branchés de Gaza ville.
C'est
de là qu'a germé l'idée d'organiser la «Journée de la
réconciliation», le 15 mars, à Gaza, en Cisjordanie et dans les
camps de réfugiés palestiniens. Avec d'autres blogueurs palestiniens, ils se
sont regroupés ces dernières semaines sur internet pour lancer des appels au
«changement» et à l'unité politique des factions palestiniennes.
Une page Facebook est née, «End
the division» («Mettre fin aux divisions») ainsi qu'un site internet, sur lequel figure le
décompte avant le jour J. «Hier,
j'ai écrit un post sur mon blog, et j'ai reçu plus de 2.000 réponses de soutien,
en moins de 48 heures», se félicite Asmaa. A Gaza, la Journée
de la réconciliation est de plus en plus populaire et elle commence à se faire connaître sur Internet.
Inspirés par la révolution égyptienne
La vague
révolutionnaire arabe arrive-t-elle sur les côtes gazaouies' Pris d'une énergie
soudaine, les jeunes Palestiniens se sentent investis d'une mission. Ils
aspirent à devenir les leaders de leur propre révolte. D'autant qu'à Gaza, la
société est très jeune: plus de la moitié des 1,8 million d'habitants ont
moins de 18 ans. Après la Libye, ils espèrent que les territoires palestiniens
seront les prochains foyers de contestation.
«Si le pouvoir continue d'entraver la liberté d'expression au nom
d'Allah, nous ne pourrons renverser ni le Hamas, ni le Fatah, constate
Asmaa. Nous avons besoin d'une
révolution. Nous voulons l'unité entre Gaza et la Cisjordanie. Nous voulons la
Palestine.»
Les blogueurs
palestiniens ont été inspirés par le réveil démocratique de leurs frères arabes
en Tunisie et en Egypte. «Je
pensais que c'était juste une manifestation, avoue Nader, un étudiant en
droit. Je n'imaginais pas que ça finirait
en révolution.» Avant la révolte égyptienne, très peu de blogueurs
palestiniens parlaient de politique. Aujourd'hui, ils sont de plus en plus
visibles sur la Toile.
«Les
blogueurs égyptiens nous ont ouvert les yeux. Nous avons réalisé combien facebook et twitter sont les véritables
outils du changement. Ce sont eux les médias et non plus la presse classique.»
L'association Wake Up reçoit régulièrement des vidéos d'autres blogueurs des
pays arabes. Elle les poste alors sur Facebook, pour soutenir et participer à
la révolution.
Les
réseaux sociaux sont devenus un moyen d'action, de résistance et de lutte. Mais
sur Internet, le gouvernement contre-attaque: le Hamas a lui aussi créé
sa page Facebook, «Stop inqiffam» («Stop division»),
pour mettre fin aux rivalités interpalestiniennes et lutter contre Israël. Mais
Asmaa voit ça d'un mauvais oeil. Le Hamas fait aussi la chasse aux blogueurs.
«La police secrète épie nos faits et
gestes sur Twitter et Facebook. Internet est devenu un monde sans frontières,
mais où l'on vous suit à la trace.»
Menaces et arrestations
La lutte
ne s'organise pas seulement sur Internet. Ces dernières semaines, le Hamas manifeste une réelle crispation vis-à-vis
de tout rassemblement. Il
y a quelques jours, des activistes ont été arrêtés alors qu'ils distribuaient
des drapeaux à l'effigie du 15 mars. Asmaa a elle-même été arrêtée le 31
janvier dernier. Elle manifestait dans le centre de Gaza, en soutien à la
révolution égyptienne. Sur place: des policiers du Hamas en civil. A
peine le rassemblement commencé qu'Asmaa et ses amis ont été embarqués. Au
poste de police, une femme s'est chargée d'interroger la jeune blogueuse. Très
vite, les insultes et les coups se sont mis à pleuvoir.
«Elle m'a traitée de ?non musulmane', parce que je ne
porte pas le voile, témoigne Asmaa.
Je lui ai répondu que c'était elle la non musulmane, car elle me battait sans
raison. Elle a continué, disant qu'elle voulait faire de moi une femme
meilleure.»
Asmaa a aussi reçu des menaces sur Facebook. «Nous te brûlerons et te tuerons, sous
les yeux de ton fils. Tu ternis l'image des femmes palestiniennes», peut-on
lire dans l'un de ces messages.
Selon un sondage réalisé à l'université al Aqsa de Gaza et publié par The
Guardian, beaucoup d'étudiants ont déclaré vouloir participer à la Journée de la
réconciliation. Mais en réalité, la
plupart ont peur. Ils redoutent la réaction des forces de l'ordre. Officiellement,
le gouvernement islamiste soutient les revendications des blogueurs.
Mais le
Hamas a fait savoir qu'il ne tolérera pas de manifestation, et en aucun cas, de
révolution comme au Caire. Il redoute que ces
rassemblements ne se transforment en tribune pour le Fatah. Le mouvement
islamiste a seul le droit d'organiser des manifestations sur son territoire. A
Ramallah en Cisjordanie, sous contrôle de l'Autorité palestinienne, on craint
le même phénomène. Le Fatah ne veut pas voir de militants du Hamas descendre
dans la rue pour contester son pouvoir.
Un mouvement inédit
Pourtant, ces
jeunes blogueurs n'appartiennent à aucun groupe organisé, aucun parti
politique. Ils n'ont pas de noms, pas de leaders. Ils ne présentent aucune
analyse claire de la situation historique ou politique. Ils n'avancent aucune
réponse, ni solution. Ils dénoncent, accusent et condamnent. Ils n'ont qu'un
seul but: unir tous les Palestiniens.
Ce
réveil de la jeunesse à Gaza est un phénomène récent. Le «Manifeste
pour le changement» publié par l'ONG Gaza Youth Breaks Out en est l'un des
précurseurs. Ce texte a
été diffusé sur Facebook et publié par la presse internationale, en décembre
dernier. Avec une terminologie jusque-là inédite:
«Merde au
Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l'ONU et à l'Unrwa. Merde à
l'Amérique.»
Un cri de rage.
La Journée de la
réconciliation est un test pour savoir jusqu'où la population palestinienne
est capable de se dresser contre le pouvoir. La nouvelle génération Facebook espère
bousculer les mentalités. Mais la jeunesse sait qu'elle s'attaque à une société
figée par les traditions.
«Pour le
moment, nous souhaitons une révolution politique et économique, précise
Asmaa. Si nous parlons de révolution
laïque, personne ne va nous soutenir, car nous sommes une société
traditionnelle et conservatrice.»
Malgré
tout, un vent de liberté souffle sur Gaza.
«Nous
sommes devenus une société extrémiste guidée par des leaders religieux
conservateurs. La plupart du temps, les filles ne choisissent ni leurs études,
ni leur mari. Les règles et les traditions contrôlent notre quotidien. Nous
vivons pour la société et non pour nous-mêmes.»
Parfois, Asmaa aimerait
quitter Gaza. Mais elle pense à son fils, âgé de 6 ans. C'est pour lui qu'elle
se bat, pour qu'il ait «un avenir
meilleur».
Kristell Bernaud